Textes

Les filles pleurent sur les livres qu’elles lisent. 


Elle pleurent par saccades, referment le livre et le reprennent dans un même mouvement, plissent les yeux très fort pour les décharger puis les ré-ouvrent en grand pour mieux voir mais souvent on ne voit plus rien depuis longtemps. L’émotion cache la netteté des choses et le fil de l’histoire paraît aléatoire. 

Il y en a une qui insiste longtemps comme ça en pleurant. Elle continue de regarder son livre mais ne voit rien puisque ses yeux sont pleins de larmes qui restent contre les yeux et la fille à beau cligner de ces yeux-là, les larmes restent. Tout est flou pour elle à ce moment là. Elle connaît l’histoire par cœur mais elle est bien obligé de reconnaître que cette fois-ci, l’histoire la touche particulièrement, même si elle est rendue abstraite par les larmes et qu’elle a du mal maintenant à reconnaître les personnages et les lieux et que sa respiration forte et saccadée l’empêche d’entendre tous les dialogues. Elle sait qu’aujourd’hui, l’histoire est plus à pleurer qu’avant. Elle comprend avec une plus grande vérité ce qui arrive à l’héroïne qui elle ne lui a rien demandé. Elle lui parle et l’encourage et son émotion grandit à chaque page qu’elle tourne même si elle ne voit plus rien depuis longtemps, on l'a dit plus haut. Les larmes quittent enfin les yeux qui les avaient fait naître pour rejoindre le livre et y mettre fin. Les lignes sont envahies rapidement. La fille qui insiste voit les mots nager le long des pages inondées et croit perdre la tête. Elle se retourne pour dire aux autres qu’aujourd’hui le rythme est vraiment différent, qu’il y a quelque chose, quelque chose de différent.... Il n’y a personne alors elle continue a parler mais pour elle même et se dit que la brume épaisse chargée de pluie allait mieux aux récits que l’été qui lui était donné et que l’héroïne, ainsi détrempée, semblait plus mélancolique encore. De grande coulées de boue se propagent doucement dans le récit qui ainsi bouleversé, est d’autant plus incroyable. La simple histoire d’amour est transformée en catastrophe naturelle qui ravage le pays entier. On compte déjà plusieurs milliers de morts dont les personnages principaux. Seul un personnage plus que secondaire, un voisin cité une fois je crois, survit et on le voit se démener aux milieux des effondrement des décors et des corps sans vie des héros et héroïnes en pagaille... La fille qui insiste n’en finit plus d’êtres bouleversée. Elle lance une deuxième coulée de larmes et là, tous les mots se mélangent. La fille qui insiste est sans dessus dessous. Le récit est perdu a jamais et se dilue très doucement d’un mot à l’autre. La fille regarde en silence leur transformation lente... certains se croisent et se collent aléatoirement, d’autres disparaissent dans une brume d’encre qui coule le long des mains et des poignets. Le tissus de sa robe est envahis sur les genoux et les bras. 


La fille qui insiste ne ressemble plus à rien, son esprit est troublé par l’expérience littéraire qu’elle vient de vivre et sa robe est foutue. 


FIN














“Rendez-vous hors de vous”


Il laisse un billet doux sur la table du café d’où la jeune fille qui lui faisait croire qu’elle ne le regardait pas est assise. Il part précipitamment rejoindre le reste de la rue. Elle attend qu’il ait tout a fait disparu pour ouvrir le billet et lire: “Rendez-vous hors de vous”.


La jeune fille sourit lentement et range le billet dans la poche gauche de sa veste. Son sourire se modifie peu à peu vers un rire qui en sort par saccades espacées. Elle respire de plus en plus fort pour tenter de se contenir mais rien y fait. Elle décide alors que de petites gorgés de la grenadine qu’elle avait commandé plus tôt auraient raison de la folie qui l’envahit avec une violence inhabituelle. Elle s’étouffe un peu et ressort le billet. 

Vaincue, elle décide qu’il est trop tard pour faire marche arrière et se laisse mourir de rire.








Cette histoire la rend folle


Cette histoire la rend folle. Chaque fois que j’en parle elle devient folle. Elle le dit d’ailleurs. Moi je ne la trouve pas différente de d’habitude ni du reste de l’équipe dans ces cas-là mais elle, elle insiste toujours. Une fois l’équipe s’était réunie pour des questions d’organisation d'accueil  du comité et elle, elle n’était pas venue. Mon frère avait dit aux autres qu’il était sûr qu’elle arriverait très vite, ce qu’elle ne fit jamais. Ni cette fois-ci, ni la fois d’après. Elle m’a dit plus tard qu’elle voulait venir mais qu’en chemin elle avait croisé un cerisier plein et la fois d'après ou d’avant, ça dépend de quand on vient, des abeilles. Et elle avait suivi les unes et ramassé les autres, pour les manger, les observer, les écouter ou en clafoutis, tu vois!! Moi qui n’avais pas vraiment écouté, lui ai dit que oui oui, ça à l’air fou. Et ça! Non. Ca, non!! Tu ne dis pas ça parce que je ne suis pas folle. Oui d’accord. Non!! Tu ne vas pas t’en sortir comme ça. Tu es peut-être une idiote mais moi je ne suis pas folle. 

A ce moment-là je n’écoutais pas vraiment non plus ce qu’elle disait par ce que ça n’avait pas vraiment de lien avec ce qu’on disait avant ni avec ce qu’on pourrait dire après... on pourrait parler de l’ampoule qui avait fini par céder à l’ennui et qui en était morte.








Voilà


Au début elle voulait juste raconter des histoires aux enfants, pour amuser, comme ça et finalement, elle avait embrayé sur des histoires vécues un peu dures à vivre et encore plus à entendre alors, bien sûr, comme on peut s’y attendre, les mômes se sont fait embarquer par leurs parents. 

La fille qui raconte, enfin, qui veut raconter des histoires, parce que c’est ça aussi, à un moment il y a une décision et un désir de partager... la fille qui raconte donc, reste toute seule, sans auditoire. Elle ne s’inquiète de rien pourtant, quand elle remarque sa solitude, le  lendemain. Elle a l’habitude des paysages immenses et sans détails que sont les déserts, alors, voir du monde ça c’est pas commun mais le vide au moins c’est plus simple à gérer. Il ne va pas vous sauter à la gueule subitement ou vous demander l’heure. Pratique le truc.

La fille n’habite nulle part en particulier mais en se promenant, elle se dit que si elle avait une maison, elle la détruirait sur le champ pour être sûre de ne pas être emmerdée. 

Elle marche par là en attendant de trouver une autre pensée ou une autre envie comme celle de raconter des histoires aux enfants pour se venger. Elle shoote dans un pigeon puis dans un caniche puis dans la pétasse du caniche. Pour faire du silence, c’est bien le silence, ça ressemble au vide sauf que comme le reste, ça ne peut pas l’être parfaitement. Parfois il y a des choses, elle se dit, qui ne semblent exister que pour qu’on leur shoote dedans (ex: pigeon, caniche, pétasse). On voudrait pouvoir se retenir et d’ailleurs on le fait toute notre vie mais parfois, il faut le faire. Et BAM! Elle décanille la porte du notaire, traverse le couloir sombre, continue par les escaliers, tourne à droite où il y à une porte. BAM! avait une porte, démantèle la chaise puis le bureau, retrouve parmi les débris un trousseau de mille clefs, trouve une étagère louche, regarde basculer l’étagère louche, découvre ce qu’elle ne cache plus, trouve la bonne clef pour ouvrir ce qu’elle ne cache plus, rencontre le paquet de fric dont je rêve, se retourne pour la première fois, ne voit rien de particulier, prend l’argent et le chemin inverse, se retrouve sur le trottoir et se met en route en disant: voilà, non?

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