Texte

La fille camée jusqu’à l’os revint un jour presque nue. 


1)

Elle avait disparu depuis plus de temps qu’il n’y paraissait mais on n’avait pas encore eu le temps de parler de ces détails là parce que quand la fille camée revint chez ses parents ce jour-là, on eût juste le temps de la voir traverser la cuisine sans un mot ni un regard et de l’entendre s'effondrer sur le canapé du salon où elle s’endormit. Son frère la transporta dans son lit puis on attendit que les jours passent et effacent les drogues qu’on s’imaginait et dont on commença à parler assidûment. 

On attendit plusieurs jours, qui ne vinrent que lentement...

Pendant tous ce temps, la petite voisine observait le corps sans presque jamais relâcher son regard comme elle avait pris l’habitude de le faire quand celle qui avait réapparu presque nue n’avait pas encore disparu. Avant c’était l’inverse. Le petite voisine, que l’on appelait la petite voisine, se tenait contre le lit trop haut pour elle et la fille camée, qui s’appelait Hanna, était assise sur la chaise de son bureau trop basse pour elle. Elle la regardait sans presque jamais relâcher son regard quand elle se maquillait et se coiffait pendant des heures en marmonnant ce qu’elle aurais dû répondre à ce connard et cette pauv’conne aussi qui, semble-t-il, ne la défendaient jamais tout en étant ses meilleurs amis. La petite voisine connaissait par cœur les personnages des journées d’Hanna parce qu’elle l’écoutait depuis toujours. Elle venait dans sa chambre comme au spectacle, Hanna lui donnait des fils et des perles pour qu’elle tisse des bracelets brésiliens, rejoignait son bureau qui était aussi sa commode, commençait ses devoirs, les arrêtait rapidement pour se maquiller et s’arranger au cas où ils l'appelleraient, en même temps on est mercredi, elle se retournait parfois vers la petite voisine pour vérifier si elle était toujours là puis trouver son approbation. Oui, c’est mercredi, peut-être que personne n’aura envie de sortir. Hanna soupire, se repasse la main dans les cheveux et commence à se démaquiller en finissant de raconter sa journée. S’ils l’appelaient, elle se remaquillait rapidement, déchirait un peu plus sont collant noir et choisissait des chaussures un peu salies déjà. Elle jetait un baiser vers la petite voisine et finissait de s’évader dans des bruits de bracelets et de pas lourds sous lesquels l’escalier se creusait un peu plus chaque fois. On ne savait jamais quand elle revenait mais le matin elle était là. 

S’il ne l’appelaient pas, ce qui arrivait rarement, elle disait à la petite de ranger ses fils et de mettre des bottes et elles partaient toute les deux cueillir les fleurs dans les jardins des voisins et le long des allées. Elles partaient et faisaient des courses aux fleurs dont la règle simple était d’en ramasser le plus possible en courant le plus rapidement possible: pour ne pas se faire mordre par les chiens et pour ne pas avoir envie de pleurer... au moins ne plus avoir à penser aux journées inutiles qui se déroulaient sans presque jamais laisser place aux nuits sans ennui.

Un soir, elles avaient couru la nuit entière et avaient finit par sortir de la ville à force de suivre les jardins puis les chemins et enfin les champs humides. Cette nuit-là, elles avaient cueilli tellement de fleurs qu’elle durent arrêter de courir et attendre que le jour soit tout à fait revenu pour les ramener chez elles. 

Elles tenaient entre leurs bras très serrés les centaines de tiges dont les sèves mélangées imbibaient leurs vêtements de plus en plus à chaque pas et pourtant, elle ne lâchèrent la masse rendue compacte par la pression qu’une fois revenues dans la maison d’où elle étaient parties. C’était le jeu! Comme ça on pourrait décerner les prix. Celui du meilleur choix de fleurs d’abord (même si c’était toujours un hasard puisque la vitesse de la cueillette était la première des règles) puis celui du bouquet le plus lourd puis enfin, le prix de la meilleur étreinte. Cette nuit-là se termina ce matin-là dans une tristesse qu’on n'avait pas pu semer. La petite voisine avait raflé tous les prix. C’était le jeu, les règles étaient les règles et Hanna accepta. Elle décida aussi de crier sur la petite voisine que gagner des concours d’étreindre des fleurs ne veut pas dire qu’elle saura étreindre quelqu’un de réel un jour. Elle avait dispersé à coup de pied les couleurs de la nuit dans toute la cuisine dont le jour s’était déjà emparé depuis plusieurs heures. La petite voisine attendit que Hanna finisse et  sorte de scène la première. Hanna était perdu avec ses yeux qui ne savaient plus s’ils étaient ouverts par erreur ou s’ils regardaient vraiment quelque chose. On aurait dit qu’elle recevait à rebours les paysages qu’elle avait traversé à toute allure quelques heures plus tôt. Dans leur errance, ses yeux trouvèrent l’escalier, le suivirent marche par marche jusqu’à une chambre où les fenêtres étaient déjà claires. 

La petite voisine sort alors de scène en laissant le décors se remplir de la lumière qui lui révèle enfin les couleurs qu’elle avait serrées contre elle tout au long de la nuit.


2)

On médisait beaucoup sur le retour d’Hanna. Elle avait disparu cinq jours entiers, maintenant on savait, et dormait depuis trois jours. Sa mère décida d’attendre encore d’autres jours en compagnie de la petite voisine qui ne relâcha presque jamais son regard. On voyait de temps en temps quelqu’un de la famille ou des voisins ou les deux (on ne savait plus s’ils faisaient partie de la famille tellement leur présence était évidente à tout moment de la journée et de la nuit. ) ouvrir la porte de la chambre, demander des nouvelles, constater la vie qui entourait Hanna mais pas Hanna elle-même puis repartir. Parfois on laissait quelques mômes là le temps d’une course ou d’un après-midi. On laissait aussi des biscuits qui sortaient d’un des fours de l’une des maisons, on ne savait plus laquelle non plus puisqu’elles étaient toutes identiques dans cette grande résidence neuve de baraque en plastique pâle. Tout le monde parlait de la jeune fille qui était revenue presque nue, de son corps qui avait maigri incroyablement vite et de son visage trop vague ce dont on n’avait pas l’habitude parce qu’Hanna n’était jamais vague, elle était précise et exigeante avec tout le monde, elle avait une attention particulière a ceux qui l’entouraient et aux moindres détails comme le déplacement des objets, la manière dont ils étaient déplacés, le son que cela produisait et le nouveau rapport qu’ils entretenaient alors avec le reste, les corps, la lumière et le sens. On avait pris l’habitude de cette attention excessive sauf la petite voisine qui était la seule pour qui elle n’en donnait presqu’aucune mais se remettait entièrement à elle. La petite voisine était donc la seule qui puisse décrire avec exactitude les moindres mouvements qui animaient Hanna. Elle connaissait parfaitement les rythmes de son cœur et pouvait déduire ce qu’elle ressentait et pourquoi, ce qui l’avait amené, à chaque moue de bouche, chaque infime détails, chaque nerf contracté, chaque battement oublié. Elle avait donc décidé de regarder comme Hanna l'aurait fait pour les autres et pour les choses pour comprendre ce qui s’était passé pendant ces cinq jours. 

Elle comprit très vite mais décida de ne pas dire ce qui s’était passé.

D’abord parce que ça ne regardait personne d’autre qu’Hanna. (Il ne faut pas perdre de vue, se disait-elle, que le décor est celui d’une ville en plastique posée au coin d’une vraie ville et que même si nous sommes presque sans arrêt ensemble, nous ressemblons d’avantage à une meute sauvage qu’à une famille. Il y a un équilibre où chacun tient un rôle mais au-delà de ça, il y a une sorte de danger permanent à n’être considéré que comme une pièce du puzzle et non comme quelqu’un, vraiment. La preuve en était que personne ne sut jamais son nom à elle. Même sa propre mère l’appelait la petite voisine) S’ils sont tous là, ce n’est pas pour Hanna mais pour ce qu’elle représente. Elle se disait qu’elle avait eu raison de disparaître et que la prochaine fois, elle l’aiderait à s’enfuir et cette fois-ci plus loin encore pour que les choses ne rentrent pas dans l’ordre à son retour. Pour qu’on sache que si une fille disparaît, elle emporte avec elle toute son existence et les liens qu’on entretient avec et que dans le cas d’Hanna, les liens sont ceux qui relient la ville entière. Beaucoup de choses lui appartenaient comme la lumière par exemple, puisque c’est elle qui l’entretenait en en parlant. 

L’autre raison était qu’elle était heureuse qu’on parle autant d’Hanna. Même si c’était déplacé, même si c’était pour tout le monde une nouvelle occasion de se tenir les uns près des autres.  


3)

Dans une ville en plastique, les rumeurs vont vite comme dans toutes les villes. Mais bien plus vite encore dans ces villes-là puisque les murs n’existent pas complètement. Ils ont été construits moins que définitivement. Il est alors plus facile aux sentiments de traverser ce qui n’a jamais promis de les arrêter. On avait donc vu venir la chose sans vraiment y prêter attention. L’attention, c’était l’affaire de la jeune Hanna. Si elle ne disait rien de particulier sur le sens du vent ou sa matière, on oubliait ce qu’on avait cru percevoir. Même si c’était une môme, on avait fini par lui faire confiance. Parce qu’elle avait raison et parce que dans sa bouche tout prenait sens et était ajouté d’une beauté particulière, une poésie qui rendait les journées mornes du décor sans fin ravissantes. Petit à petit on avait donc laissé tomber ce truc de l’attention au monde sensible et on attendait qu’elle donne à voir.

Étrangement pourtant, quelques jours avant sa disparition, certains commençaient à ressentir un manque.  Quand Hanna était partie pour aller en cours le matin de sa disparition, une sorte de roideur avait contracté l’espace entre les habitants de la ville en plastique mais personne n’avait osé le remarquer. On attendrait le soir pour savoir. Mais la nuit n’était pas venue totalement.

Tout le monde sut alors avec certitude que Hanna manquait à son devoir. Personne ne l’avait croisée, personne ne put donc savoir la qualité des sentiments qui se confondaient depuis quelques jours et surtout depuis le matin. Elle n’était pas revenue et ce n’était pas un retard. Elle n’était pas revenue parce qu’elle ne reviendrait pas.


4)

Les jours qui suivirent avaient tellement perdu d’éclat qu’on ne reconnaissait plus les heures qui passaient. On avait finalement continué de vivre mais sans savoir exactement pourquoi. Un doute planait sur l’utilité même de la vie.

Les jours qui suivirent n’étaient que cinq, alors on attendit.


4)(bis)

 Pendant ce temps ce sont des dérives jouées au piano et des paysages montagneux qu’elle n’a encore jamais visité qui se sont emparés d’Hanna. Ils s’élancent devant elle comme pour l’inviter à se perdre à jamais. Elle hésite plusieurs jours à se lancer. Elle ne bouge pas, repense à la ville en plastique, à la petite voisine, à sa mère et aux amis dont elle n’arrive toujours pas à comprendre les sentiments. Elle a tenté toute sa vie d’entretenir la lumière pour les autres mais aujourd’hui elle la veut pour elle. Hanna prend l’immensité du paysage contre elle et y plonge son visage... les branches lui écorchent la peau et ouvrent des entailles profondes qui ne font pas couler de sang. Se sont des ouvertures hors du paysage, de la ville en plastique et de l’ennui. Hanna lance ses bras vers ses propres entailles qui l’avalent entièrement et à jamais.


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