Texte





La fille sur le chantier



Le jour où on détruira a nouveau les nouveaux bâtiments, on repensera à la fille qui contenait le vide pour stabiliser le plein.

1) Il y a tout un tas de gravats autour d’elle pendant qu’elle ne les regarde pas. De la plus petite poussière de sable ou de terre, au pan de mur décroché dont s’évadent avec peine des ferrailles enchâssées, blessées par la rouille. Un vent furieux projette contre ses yeux et au milieu de sa chevelure des brindilles d’herbe et de béton. Ses yeux qui sont autre part en plissent à peine. Parfois de vieilles feuilles de journaux se collent à ses jambes, à différentes hauteurs, puis relâchent leur prise pour continuer leur voyage aléatoire vers les troncs ou les poteaux.


2) Elle était sortie de chez elle en rêvant de voyage, surtout d’Amérique en fait. Elle ne pouvait pas se résoudre à organiser un voyage et prendre l’avion et pour faire quoi au juste, je ne parle pas l’anglais et je n’ai aucune connaissance en dehors de cette ville où je suis. Elle fit (pour vérifier) le chemin vers des déserts ou d’autres étendues vastes où l’on pouvait voir de temps en temps un fast-food ou une station-essence tout droit sortis de films et d’idées reçues. Pendant qu’elle survolait ainsi les paysages, la sonnerie du téléphone vint frapper contre ses tempes, l’obligeant à partir rapidement de son appartement suspendu au dessus des toits. Elle descendit les marches quatre à quatre et s'enfuit par le chemin où il y avait le moins de monde, allant tout droit tant que la route y allait et tournant à gauche si on lui coupait la route à droite... etc... elle s'arrêta quand un chien le lui demanda à coups d’aboiements furieux. Quand il vit qu’il n’y avait aucun espoir de faire naître chez la fille un sentiment de peur ou quelque chose de victorieux pour l’un et de rabaissant pour l’autre, le chien repartit. Pendant ce temps, la fille resta dans le désert, survolant le paysage en feu sillonné d’une large route, de montagnes concassées et de ses propres ailles battantes.

La nuit arriva par ennui, la fille ne bougea pas et avec le matin, les ouvriers arrivèrent. Quelques-uns vinrent la voir, inquiets de son immobilité et surtout de l’avancée du chantier de démolition qu’on ne pouvait plus retarder. Ils attendirent deux heures puis commencèrent à discuter des solutions envisageables. La fille ne bouge pas. On l’embarque avec le reste des gravats? Noooooooon. Mais que voulez-vous que j’en fasse alors? Elle ne répond pas! Elle n’a même jamais bougé! Et en plus elle est moche! Bon... alors mettez-là dans la benne. On alla chercher une petite pelle mécanique et on piocha la fille pour la déposer dans la benne avec le reste des gravats à évacuer ce jour là.

(Note: Il faudrait qu’elle soit détruite pendant qu’elle y pense.)

3) Au centre de tri on ne fait pas passer le mot mais on se rend vite compte qu’il y a une rêveuse dans le coup. On comprend qu’elle ne veut plus sortir de ses pensés et, même si on aimerait bien savoir quel genre de pensées peuvent vous retenir si longtemps, on ne peut pas attendre indéfiniment, les bennes s’accumulent déjà et le travail doit avancer. On balance la fille et le reste dans la broyeuse. Les ouvriers regardent partir le corps qui renferme le mystère de rêveries qui valent le coup. Ca les peine de voir tous ces rêves se faire broyer. Ils regardent en silence le corps de la fille exploser au même rythme que les blocs de béton. Les graviers passent par le rouge puis tout redevient gris.
Ensuite, la fille, ce qu’elle contenait et les morceaux d’immeuble serviront de ballast pour stabiliser les autoroutes, les fondations des maisons et les salles des fêtes... un fond sur lequel on peut s’appuyer. Un fond sur lequel seront construits d’autres bâtiments qui seront traversés des rêves de la fille puis des miens et tous ceux qui viennent en ville en retenant près d’eux des paysages imaginaires. Les déserts continueront de hanter la ville et s’accumulerons dès les entrées des bâtiments neufs, dans leurs toilettes spacieuses, dans des restaurants dernier cri et des salles remplies d’articles à regarder, à tripoter et qui ne porteront que leur devenir écaillé, fissuré, effrité puis enfin néant.
désertique.












Le projet "exposition sur table" se veut simple et modeste, comme son nom l'indique, la table est le lieu d'exposition.
Chacun est invité à prendre en considération cet espace de monstration inhabituel en adaptant sa ou ses propositions plastiques, textuelles, performatives...
La table est notre... espace particulier et modifie ainsi notre manière de regarder, de tourner autour des choses.

L'exposition ne dure que le temps du vernissage.

(Projet en collaboration avec Benjamin James Martaux (http://crissis.net/bjm/) et Mélanie Dautreppe-Liermann (http://melaniedautreppe.com/index.php) . Un micro-catalogue de chaque exposition est distribué au vernissage suivant..)



Quelques images de la première édition "exposition sur table n°1 : dans la cuisine" :
http://melaniedautreppe.com/index.php?%2Fexpositions%2Fexposition-sur-table-n1-new%2F
http://www.facebook.com/album.php?aid=190484&id=539262818

de la deuxième "exposition sur table n°2 : surexposition" :

Exposition sur table n°2: Surexposition





Cette dernière pièce ("centre de documentation") est construite en collaboration avec Mélanie Dautreppe-liermann. Elle est construite en fonction des pliages des documents proposé par Mélanie. Le visiteur est invité à consulter, déplier... ces images provenantes d'ouvrage dont s'inspire d'ailleurs les composition. Des images du Bauhaus par exemple...

Exposition sur table n°2: Surexposition





Exposition sur table n°2: Surexposition





Texte

La fille camée jusqu’à l’os revint un jour presque nue. 


1)

Elle avait disparu depuis plus de temps qu’il n’y paraissait mais on n’avait pas encore eu le temps de parler de ces détails là parce que quand la fille camée revint chez ses parents ce jour-là, on eût juste le temps de la voir traverser la cuisine sans un mot ni un regard et de l’entendre s'effondrer sur le canapé du salon où elle s’endormit. Son frère la transporta dans son lit puis on attendit que les jours passent et effacent les drogues qu’on s’imaginait et dont on commença à parler assidûment. 

On attendit plusieurs jours, qui ne vinrent que lentement...

Pendant tous ce temps, la petite voisine observait le corps sans presque jamais relâcher son regard comme elle avait pris l’habitude de le faire quand celle qui avait réapparu presque nue n’avait pas encore disparu. Avant c’était l’inverse. Le petite voisine, que l’on appelait la petite voisine, se tenait contre le lit trop haut pour elle et la fille camée, qui s’appelait Hanna, était assise sur la chaise de son bureau trop basse pour elle. Elle la regardait sans presque jamais relâcher son regard quand elle se maquillait et se coiffait pendant des heures en marmonnant ce qu’elle aurais dû répondre à ce connard et cette pauv’conne aussi qui, semble-t-il, ne la défendaient jamais tout en étant ses meilleurs amis. La petite voisine connaissait par cœur les personnages des journées d’Hanna parce qu’elle l’écoutait depuis toujours. Elle venait dans sa chambre comme au spectacle, Hanna lui donnait des fils et des perles pour qu’elle tisse des bracelets brésiliens, rejoignait son bureau qui était aussi sa commode, commençait ses devoirs, les arrêtait rapidement pour se maquiller et s’arranger au cas où ils l'appelleraient, en même temps on est mercredi, elle se retournait parfois vers la petite voisine pour vérifier si elle était toujours là puis trouver son approbation. Oui, c’est mercredi, peut-être que personne n’aura envie de sortir. Hanna soupire, se repasse la main dans les cheveux et commence à se démaquiller en finissant de raconter sa journée. S’ils l’appelaient, elle se remaquillait rapidement, déchirait un peu plus sont collant noir et choisissait des chaussures un peu salies déjà. Elle jetait un baiser vers la petite voisine et finissait de s’évader dans des bruits de bracelets et de pas lourds sous lesquels l’escalier se creusait un peu plus chaque fois. On ne savait jamais quand elle revenait mais le matin elle était là. 

S’il ne l’appelaient pas, ce qui arrivait rarement, elle disait à la petite de ranger ses fils et de mettre des bottes et elles partaient toute les deux cueillir les fleurs dans les jardins des voisins et le long des allées. Elles partaient et faisaient des courses aux fleurs dont la règle simple était d’en ramasser le plus possible en courant le plus rapidement possible: pour ne pas se faire mordre par les chiens et pour ne pas avoir envie de pleurer... au moins ne plus avoir à penser aux journées inutiles qui se déroulaient sans presque jamais laisser place aux nuits sans ennui.

Un soir, elles avaient couru la nuit entière et avaient finit par sortir de la ville à force de suivre les jardins puis les chemins et enfin les champs humides. Cette nuit-là, elles avaient cueilli tellement de fleurs qu’elle durent arrêter de courir et attendre que le jour soit tout à fait revenu pour les ramener chez elles. 

Elles tenaient entre leurs bras très serrés les centaines de tiges dont les sèves mélangées imbibaient leurs vêtements de plus en plus à chaque pas et pourtant, elle ne lâchèrent la masse rendue compacte par la pression qu’une fois revenues dans la maison d’où elle étaient parties. C’était le jeu! Comme ça on pourrait décerner les prix. Celui du meilleur choix de fleurs d’abord (même si c’était toujours un hasard puisque la vitesse de la cueillette était la première des règles) puis celui du bouquet le plus lourd puis enfin, le prix de la meilleur étreinte. Cette nuit-là se termina ce matin-là dans une tristesse qu’on n'avait pas pu semer. La petite voisine avait raflé tous les prix. C’était le jeu, les règles étaient les règles et Hanna accepta. Elle décida aussi de crier sur la petite voisine que gagner des concours d’étreindre des fleurs ne veut pas dire qu’elle saura étreindre quelqu’un de réel un jour. Elle avait dispersé à coup de pied les couleurs de la nuit dans toute la cuisine dont le jour s’était déjà emparé depuis plusieurs heures. La petite voisine attendit que Hanna finisse et  sorte de scène la première. Hanna était perdu avec ses yeux qui ne savaient plus s’ils étaient ouverts par erreur ou s’ils regardaient vraiment quelque chose. On aurait dit qu’elle recevait à rebours les paysages qu’elle avait traversé à toute allure quelques heures plus tôt. Dans leur errance, ses yeux trouvèrent l’escalier, le suivirent marche par marche jusqu’à une chambre où les fenêtres étaient déjà claires. 

La petite voisine sort alors de scène en laissant le décors se remplir de la lumière qui lui révèle enfin les couleurs qu’elle avait serrées contre elle tout au long de la nuit.


2)

On médisait beaucoup sur le retour d’Hanna. Elle avait disparu cinq jours entiers, maintenant on savait, et dormait depuis trois jours. Sa mère décida d’attendre encore d’autres jours en compagnie de la petite voisine qui ne relâcha presque jamais son regard. On voyait de temps en temps quelqu’un de la famille ou des voisins ou les deux (on ne savait plus s’ils faisaient partie de la famille tellement leur présence était évidente à tout moment de la journée et de la nuit. ) ouvrir la porte de la chambre, demander des nouvelles, constater la vie qui entourait Hanna mais pas Hanna elle-même puis repartir. Parfois on laissait quelques mômes là le temps d’une course ou d’un après-midi. On laissait aussi des biscuits qui sortaient d’un des fours de l’une des maisons, on ne savait plus laquelle non plus puisqu’elles étaient toutes identiques dans cette grande résidence neuve de baraque en plastique pâle. Tout le monde parlait de la jeune fille qui était revenue presque nue, de son corps qui avait maigri incroyablement vite et de son visage trop vague ce dont on n’avait pas l’habitude parce qu’Hanna n’était jamais vague, elle était précise et exigeante avec tout le monde, elle avait une attention particulière a ceux qui l’entouraient et aux moindres détails comme le déplacement des objets, la manière dont ils étaient déplacés, le son que cela produisait et le nouveau rapport qu’ils entretenaient alors avec le reste, les corps, la lumière et le sens. On avait pris l’habitude de cette attention excessive sauf la petite voisine qui était la seule pour qui elle n’en donnait presqu’aucune mais se remettait entièrement à elle. La petite voisine était donc la seule qui puisse décrire avec exactitude les moindres mouvements qui animaient Hanna. Elle connaissait parfaitement les rythmes de son cœur et pouvait déduire ce qu’elle ressentait et pourquoi, ce qui l’avait amené, à chaque moue de bouche, chaque infime détails, chaque nerf contracté, chaque battement oublié. Elle avait donc décidé de regarder comme Hanna l'aurait fait pour les autres et pour les choses pour comprendre ce qui s’était passé pendant ces cinq jours. 

Elle comprit très vite mais décida de ne pas dire ce qui s’était passé.

D’abord parce que ça ne regardait personne d’autre qu’Hanna. (Il ne faut pas perdre de vue, se disait-elle, que le décor est celui d’une ville en plastique posée au coin d’une vraie ville et que même si nous sommes presque sans arrêt ensemble, nous ressemblons d’avantage à une meute sauvage qu’à une famille. Il y a un équilibre où chacun tient un rôle mais au-delà de ça, il y a une sorte de danger permanent à n’être considéré que comme une pièce du puzzle et non comme quelqu’un, vraiment. La preuve en était que personne ne sut jamais son nom à elle. Même sa propre mère l’appelait la petite voisine) S’ils sont tous là, ce n’est pas pour Hanna mais pour ce qu’elle représente. Elle se disait qu’elle avait eu raison de disparaître et que la prochaine fois, elle l’aiderait à s’enfuir et cette fois-ci plus loin encore pour que les choses ne rentrent pas dans l’ordre à son retour. Pour qu’on sache que si une fille disparaît, elle emporte avec elle toute son existence et les liens qu’on entretient avec et que dans le cas d’Hanna, les liens sont ceux qui relient la ville entière. Beaucoup de choses lui appartenaient comme la lumière par exemple, puisque c’est elle qui l’entretenait en en parlant. 

L’autre raison était qu’elle était heureuse qu’on parle autant d’Hanna. Même si c’était déplacé, même si c’était pour tout le monde une nouvelle occasion de se tenir les uns près des autres.  


3)

Dans une ville en plastique, les rumeurs vont vite comme dans toutes les villes. Mais bien plus vite encore dans ces villes-là puisque les murs n’existent pas complètement. Ils ont été construits moins que définitivement. Il est alors plus facile aux sentiments de traverser ce qui n’a jamais promis de les arrêter. On avait donc vu venir la chose sans vraiment y prêter attention. L’attention, c’était l’affaire de la jeune Hanna. Si elle ne disait rien de particulier sur le sens du vent ou sa matière, on oubliait ce qu’on avait cru percevoir. Même si c’était une môme, on avait fini par lui faire confiance. Parce qu’elle avait raison et parce que dans sa bouche tout prenait sens et était ajouté d’une beauté particulière, une poésie qui rendait les journées mornes du décor sans fin ravissantes. Petit à petit on avait donc laissé tomber ce truc de l’attention au monde sensible et on attendait qu’elle donne à voir.

Étrangement pourtant, quelques jours avant sa disparition, certains commençaient à ressentir un manque.  Quand Hanna était partie pour aller en cours le matin de sa disparition, une sorte de roideur avait contracté l’espace entre les habitants de la ville en plastique mais personne n’avait osé le remarquer. On attendrait le soir pour savoir. Mais la nuit n’était pas venue totalement.

Tout le monde sut alors avec certitude que Hanna manquait à son devoir. Personne ne l’avait croisée, personne ne put donc savoir la qualité des sentiments qui se confondaient depuis quelques jours et surtout depuis le matin. Elle n’était pas revenue et ce n’était pas un retard. Elle n’était pas revenue parce qu’elle ne reviendrait pas.


4)

Les jours qui suivirent avaient tellement perdu d’éclat qu’on ne reconnaissait plus les heures qui passaient. On avait finalement continué de vivre mais sans savoir exactement pourquoi. Un doute planait sur l’utilité même de la vie.

Les jours qui suivirent n’étaient que cinq, alors on attendit.


4)(bis)

 Pendant ce temps ce sont des dérives jouées au piano et des paysages montagneux qu’elle n’a encore jamais visité qui se sont emparés d’Hanna. Ils s’élancent devant elle comme pour l’inviter à se perdre à jamais. Elle hésite plusieurs jours à se lancer. Elle ne bouge pas, repense à la ville en plastique, à la petite voisine, à sa mère et aux amis dont elle n’arrive toujours pas à comprendre les sentiments. Elle a tenté toute sa vie d’entretenir la lumière pour les autres mais aujourd’hui elle la veut pour elle. Hanna prend l’immensité du paysage contre elle et y plonge son visage... les branches lui écorchent la peau et ouvrent des entailles profondes qui ne font pas couler de sang. Se sont des ouvertures hors du paysage, de la ville en plastique et de l’ennui. Hanna lance ses bras vers ses propres entailles qui l’avalent entièrement et à jamais.


Textes

Les filles pleurent sur les livres qu’elles lisent. 


Elle pleurent par saccades, referment le livre et le reprennent dans un même mouvement, plissent les yeux très fort pour les décharger puis les ré-ouvrent en grand pour mieux voir mais souvent on ne voit plus rien depuis longtemps. L’émotion cache la netteté des choses et le fil de l’histoire paraît aléatoire. 

Il y en a une qui insiste longtemps comme ça en pleurant. Elle continue de regarder son livre mais ne voit rien puisque ses yeux sont pleins de larmes qui restent contre les yeux et la fille à beau cligner de ces yeux-là, les larmes restent. Tout est flou pour elle à ce moment là. Elle connaît l’histoire par cœur mais elle est bien obligé de reconnaître que cette fois-ci, l’histoire la touche particulièrement, même si elle est rendue abstraite par les larmes et qu’elle a du mal maintenant à reconnaître les personnages et les lieux et que sa respiration forte et saccadée l’empêche d’entendre tous les dialogues. Elle sait qu’aujourd’hui, l’histoire est plus à pleurer qu’avant. Elle comprend avec une plus grande vérité ce qui arrive à l’héroïne qui elle ne lui a rien demandé. Elle lui parle et l’encourage et son émotion grandit à chaque page qu’elle tourne même si elle ne voit plus rien depuis longtemps, on l'a dit plus haut. Les larmes quittent enfin les yeux qui les avaient fait naître pour rejoindre le livre et y mettre fin. Les lignes sont envahies rapidement. La fille qui insiste voit les mots nager le long des pages inondées et croit perdre la tête. Elle se retourne pour dire aux autres qu’aujourd’hui le rythme est vraiment différent, qu’il y a quelque chose, quelque chose de différent.... Il n’y a personne alors elle continue a parler mais pour elle même et se dit que la brume épaisse chargée de pluie allait mieux aux récits que l’été qui lui était donné et que l’héroïne, ainsi détrempée, semblait plus mélancolique encore. De grande coulées de boue se propagent doucement dans le récit qui ainsi bouleversé, est d’autant plus incroyable. La simple histoire d’amour est transformée en catastrophe naturelle qui ravage le pays entier. On compte déjà plusieurs milliers de morts dont les personnages principaux. Seul un personnage plus que secondaire, un voisin cité une fois je crois, survit et on le voit se démener aux milieux des effondrement des décors et des corps sans vie des héros et héroïnes en pagaille... La fille qui insiste n’en finit plus d’êtres bouleversée. Elle lance une deuxième coulée de larmes et là, tous les mots se mélangent. La fille qui insiste est sans dessus dessous. Le récit est perdu a jamais et se dilue très doucement d’un mot à l’autre. La fille regarde en silence leur transformation lente... certains se croisent et se collent aléatoirement, d’autres disparaissent dans une brume d’encre qui coule le long des mains et des poignets. Le tissus de sa robe est envahis sur les genoux et les bras. 


La fille qui insiste ne ressemble plus à rien, son esprit est troublé par l’expérience littéraire qu’elle vient de vivre et sa robe est foutue. 


FIN














“Rendez-vous hors de vous”


Il laisse un billet doux sur la table du café d’où la jeune fille qui lui faisait croire qu’elle ne le regardait pas est assise. Il part précipitamment rejoindre le reste de la rue. Elle attend qu’il ait tout a fait disparu pour ouvrir le billet et lire: “Rendez-vous hors de vous”.


La jeune fille sourit lentement et range le billet dans la poche gauche de sa veste. Son sourire se modifie peu à peu vers un rire qui en sort par saccades espacées. Elle respire de plus en plus fort pour tenter de se contenir mais rien y fait. Elle décide alors que de petites gorgés de la grenadine qu’elle avait commandé plus tôt auraient raison de la folie qui l’envahit avec une violence inhabituelle. Elle s’étouffe un peu et ressort le billet. 

Vaincue, elle décide qu’il est trop tard pour faire marche arrière et se laisse mourir de rire.








Cette histoire la rend folle


Cette histoire la rend folle. Chaque fois que j’en parle elle devient folle. Elle le dit d’ailleurs. Moi je ne la trouve pas différente de d’habitude ni du reste de l’équipe dans ces cas-là mais elle, elle insiste toujours. Une fois l’équipe s’était réunie pour des questions d’organisation d'accueil  du comité et elle, elle n’était pas venue. Mon frère avait dit aux autres qu’il était sûr qu’elle arriverait très vite, ce qu’elle ne fit jamais. Ni cette fois-ci, ni la fois d’après. Elle m’a dit plus tard qu’elle voulait venir mais qu’en chemin elle avait croisé un cerisier plein et la fois d'après ou d’avant, ça dépend de quand on vient, des abeilles. Et elle avait suivi les unes et ramassé les autres, pour les manger, les observer, les écouter ou en clafoutis, tu vois!! Moi qui n’avais pas vraiment écouté, lui ai dit que oui oui, ça à l’air fou. Et ça! Non. Ca, non!! Tu ne dis pas ça parce que je ne suis pas folle. Oui d’accord. Non!! Tu ne vas pas t’en sortir comme ça. Tu es peut-être une idiote mais moi je ne suis pas folle. 

A ce moment-là je n’écoutais pas vraiment non plus ce qu’elle disait par ce que ça n’avait pas vraiment de lien avec ce qu’on disait avant ni avec ce qu’on pourrait dire après... on pourrait parler de l’ampoule qui avait fini par céder à l’ennui et qui en était morte.








Voilà


Au début elle voulait juste raconter des histoires aux enfants, pour amuser, comme ça et finalement, elle avait embrayé sur des histoires vécues un peu dures à vivre et encore plus à entendre alors, bien sûr, comme on peut s’y attendre, les mômes se sont fait embarquer par leurs parents. 

La fille qui raconte, enfin, qui veut raconter des histoires, parce que c’est ça aussi, à un moment il y a une décision et un désir de partager... la fille qui raconte donc, reste toute seule, sans auditoire. Elle ne s’inquiète de rien pourtant, quand elle remarque sa solitude, le  lendemain. Elle a l’habitude des paysages immenses et sans détails que sont les déserts, alors, voir du monde ça c’est pas commun mais le vide au moins c’est plus simple à gérer. Il ne va pas vous sauter à la gueule subitement ou vous demander l’heure. Pratique le truc.

La fille n’habite nulle part en particulier mais en se promenant, elle se dit que si elle avait une maison, elle la détruirait sur le champ pour être sûre de ne pas être emmerdée. 

Elle marche par là en attendant de trouver une autre pensée ou une autre envie comme celle de raconter des histoires aux enfants pour se venger. Elle shoote dans un pigeon puis dans un caniche puis dans la pétasse du caniche. Pour faire du silence, c’est bien le silence, ça ressemble au vide sauf que comme le reste, ça ne peut pas l’être parfaitement. Parfois il y a des choses, elle se dit, qui ne semblent exister que pour qu’on leur shoote dedans (ex: pigeon, caniche, pétasse). On voudrait pouvoir se retenir et d’ailleurs on le fait toute notre vie mais parfois, il faut le faire. Et BAM! Elle décanille la porte du notaire, traverse le couloir sombre, continue par les escaliers, tourne à droite où il y à une porte. BAM! avait une porte, démantèle la chaise puis le bureau, retrouve parmi les débris un trousseau de mille clefs, trouve une étagère louche, regarde basculer l’étagère louche, découvre ce qu’elle ne cache plus, trouve la bonne clef pour ouvrir ce qu’elle ne cache plus, rencontre le paquet de fric dont je rêve, se retourne pour la première fois, ne voit rien de particulier, prend l’argent et le chemin inverse, se retrouve sur le trottoir et se met en route en disant: voilà, non?